Je suis l'amant solitaire, l'oiseau errant, le rat méprisé, le pauvre hère de l'amour. Je n'ai pas de maison, pas d'or, pas de feu, pas de chance, pas de joie. Les bois, les champs, les rivières et les saisons sont mes asiles. Et le ciel nocturne est ma seule couverture. Tiède en été, glaciale en hiver. Avec les constellations pour unique oreiller. Lorsque je dors je suis heureux. J'accède à un autre univers : les songes.
C'est en ces lieux oniriques que chaque soir je deviens prince, oubliant mes oripeaux de vagabond : dans mes rêves un être, toujours le même, vient me rendre visite. Lors de mon sommeil, une créature inconnue me tient compagnie.
Fine, aérienne, gracieuse.
Est-ce donc un elfe, une fée, quelque nymphe ou sylphide ? Un monstre des airs ou un ange des marécages ? Bête issue de l'ombre ou âme ailée surgie de la broussaille ? Libellule ou araignée d'eau ? Mystère ! Mais auprès de cette dame subtile je deviens un héros, un chevalier vêtu d'or et de lumière partant à la conquête des étoiles, de toutes ces chandelles que compte mon royaume de poussière et de silence. Mes histoires imaginaires sont épiques, grandioses, inoubliables.
Et le lendemain je poursuis mes aventures interrompues la veille. Au coucher, mon voyage reprend son cours exactement là où il s'était achevé le matin. Parfois il m'arrive de m'endormir au grand jour dans les herbes folles, et je rejoins aussitôt ma fiancée énigmatique. Je sais qu'elle m'attend, fidèle au rendez-vous.
Pendant longtemps j'ignorais qui était cette intruse de mes évasions intérieures, l'hôte de mes mirages intimes, la présence impalpable de mes escapades de dormeur. Maintenant je sais. Je connais le nom de cette étrange sorcière qui vient me rendre visite dans mon théâtre mental pour le mieux troubler de sa flamme. Je reconnais cette reine de l'illusion qui m'a emmené si loin, si haut...
J'ai enfin identifié cette amie qui est le baume à mes misères.
Ca n'est pas une femme comme je le pensais, non. Mais un galant, un joli, un doux messager de la nuit.
On le nomme Morphée.