mardi 10 septembre 2024

75 - La dame blanche

Je l'ai vue cette fameuse passagère nocturne...

Comme beaucoup de gens, j'ai rencontré la Dame Blanche. C'était par une soirée tardive d'été, alors que je me promenais en solitaire dans la forêt de Mézières-sous-Lavardin dans la Sarthe. Elle me faisait face, le regard figé, immensément triste au milieu du chemin.

A y regarder de plus près le spectre était d'ailleurs blafard, gris, sombre plutôt que blanc... Je lui adressai la parole, effrayé par mes propres mots résonnant au coeur de la sylve, à minuit passé, seul face à cette apparition lugubre...

— "Vous êtes la Dame Blanche, n'est-ce pas ?"

Silence.

Je répétai ma question.

— "Vous êtes la Dame Blanche, oui ou non ?"

Toujours pas de réponse. Et cet étrange, oppressant silence qui remplissait la nuit... Je n'insistai pas. Il émanait de l'intruse un malaise infini qui rendait l'ambiance très inquiétante... Je lui fis un signe amical de la main tout en me forçant à faire bonne figure.

Sortant lentement de sa torpeur, elle répondit à mon geste. Alors m'apparurent des dents terrifiantes ! Un sourire de décédée à faire claquer les os. Une grimace venue du plus profond de l'inconnu, une image vertigineuse, un air maléfique et très doux à la fois qui voulait dire "Je suis la Tristesse, je suis la Douleur, je suis le Malheur, je suis le Désespoir".

Je me rendis compte qu'il n'y avait pas de prunelles dans son regard. En fait elle n'avait pas de regard. Les orbites vides, elle n'avait que deux trous noirs en guise d'yeux, et peu à peu c'est un crâne que je vis à la place de ce que je croyais être un visage aux traits indéfinis. Un crâne qui me souriait dans les ténèbres. L'esprit s'approcha de moi. La tête pleine de détresse se décida enfin à me parler. Je m'attendis à entendre un son sépulcral, horrible. Dans un sanglot très humain, familier et féminin ressemblant beaucoup à un gémissement d'adolescent, la défunte me supplia de l'aider à rejoindre le monde supérieur. Accablée de tourments, elle errait sans but dans les lieux obscurs où l'avait jetée le sort. Incapable de rejoindre par elle-même les hauteurs désirées, elle demandait du secours aux vivants.

— Que puis-je faire pour vous, lui demandai-je ?

De son invariable voix d'enfant :

— Le mal que j'ai commis sur terre, répare-le car je suis prisonnière de mes actes, mes pensées négatives me submergent. Moi je ne peux plus, je suis morte et condamnée à errer jusqu'à ce qu'un être secourable me sorte de là. Va, sois courageux, écoute-bien ce que je vais te demander de faire...

Je lui coupai aussitôt la parole :

— Je ne suis pas une nature charitable. Débrouillez-vous et foutez-moi la paix ! Chacun ses problèmes, assumez les vôtres, moi je ne vous dois rien. Je n'ai pas envie de jouer à la bonniche, pas même pour un fantôme. Personne ne pourra jamais rien faire à votre place là où vous êtes. Ne comptez que sur vous-même pour trouver la porte de sortie, je ne peux rien pour vous, dégagez ! Je ne suis pas un philantrope, vous dis-je...

J'espérais ainsi me débarrasser de l'importune tout en la faisant réagir sur son sort. Quelques termes expéditifs, durs mais salutaires : l'unique service que je pusse lui rendre.

Encore plus attristée, la revenante se retira en silence avant de disparaître dans l'obscurité.

Inexplicablement, pendant trois jours j'entendis ses soupirs désespérés autour de moi, comme si j'étais témoin d'une lutte intérieure de la Dame Blanche avec elle-même, une lutte âpre, ultime, dantesque. Trois journées d'intenses échos en moi. Puis plus rien.

J'appris peu de temps après sous forme de songe étonnamment réaliste qu'une âme généreuse avait acquiescé à la demande de la pleureuse, la propulsant définitivement vers la Lumière.

Cette âme, c'était moi.

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