mardi 10 septembre 2024

51 - L'hôte du marécage

L'automne était flamboyant.

La flore aux teintes chaudes dégageait des senteurs séminales. Partout l'or triomphait, ses reflets sauvages se mêlant avec éclat au terreau profond. Les artifices d'octobre embrasaient ciel et terre.

Aux abords d'un vague marais je m'égarai exquisément, humant l'humus fécond, l'âme bercée par ce paradis de feuilles mortes. La glorieuse agonie des éléments m'enchantait, je succombais à ses charmes. J'étais sur le point de tomber en pâmoison quand...

Quand les joncs remuèrent.

Une tête hideuse sortit des flots. L'épouvante me gagna. Avec sa face horrible, ses cheveux comme du foin, ses yeux pareils à ceux d'un loup, son allure ogresque, ses poils de garou et ses halètement d'ours, l'être lentement s'approcha, ruisselant de vase.

Pétrifié d'horreur et tout à la fois incrédule devant ce géant issu de l'onde fangeuse, le doute traversa mon esprit. Je ne rêvais point pourtant. Ce génie velu avait réellement surgi de l'étang.

La créature toutefois se révéla bien inoffensive.

Craintive, voûtée, comme écrasée par sa propre déchéance, la bête semblait suppliante. Chose étonnante, devant son attitude misérable mon effroi peu à peu s'évanouit. J'eus bientôt pitié de ce titan au pelage trempé de boue qui me tendait la main. J'extrayai de ma besace quelque quignon de pain. Il le prit avec un air de profonde reconnaissance avant de disparaître aussi vite dans les eaux troubles.

C'était il y a vingt ans.

Depuis je n'ai plus jamais revu le monstre solitaire. Mais chaque année vers la fin de septembre je relève de mystérieuses traces de pas aux alentours du marécage. Aujourd'hui encore j'ignore qui était l'énigmatique habitant de cette vaste mare, je sais cependant qu'il est toujours là, qu'il hante les lieux à chaque saison, errant entre les joncs tel un intemporel pénitent en quête de je ne sais quel salut.

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