Germaine Charone est une carne de quatre-vingt-dix-huit balais. Elle a
connu la "14", les Boches en quarante et a déjà enterré tous ses voisins.
En un siècle, elle n'a jamais quitté son petit village
picard, Contay. Germaine Charone est une vieille charogne qui radote du matin au
soir, bien qu'elle ait sauvé des petits Juifs du fer allemand pendant la
dernière guerre. Elle a d'ailleurs été récompensée de la médaille des Justes
pour son comportement exemplaire durant cette période. Ca ne l'a pas empêché
d'accuser des Manouches en 1975 de lui avoir volé une poule. A tort, puisqu'elle
avait secrètement mangé sa volaille. Je m'en souviens bien, je l'avais vu la faire
cuire dans son grand pot, j'étais tout gamin à l'époque. C'était un volatile à la chair coriace.
Germaine Charone a souvent aimé faire le mal, mais maintenant elle n'a plus
toute sa tête. Son mari a été touché au genou droit par un éclat d'obus en
quarante-trois. Depuis, il a toujours boité de la patte. On l'a inhumé en quarante
six. Heureusement, comme ça il aura pas claudiqué longtemps. Germaine, à présent qu'elle approche de la centaine d'années, elle commence à vouloir s'engager chez
les Scouts de France.
Elle n'a plus sa tête. Un jour elle a voulu aller tuer le
chien de quelqu'un qu'elle connaissait même pas. Le 27 juin 1978 elle a coupé
son arbre en entier parce qu'il y avait trop d'ombre devant sa fenêtre.
Bertrand, un ami de la rue où elle habitait -et où elle habite toujours du reste, vu qu'elle a jamais quitté sa masure-, a voulu la cogner à cause de ça. Elle lui
en a voulu à mort. Tout ça pour une histoire d'ombrage.
Moi je la déteste : elle pue comme une incontinente qu'elle est, elle ne se lave
pas car elle vit seule chez elle sans personne pour l'aider. Elle n'a plus sa
tête mais elle est encore trop fière à quatre-vingt-dix-huit ans pour se faire
aider par une jeunette qu'a pas vécu la guerre tandis qu'elle, elle a sauvé
des petits Juifs.
Ca l'a rendu méchante on dirait.
Elle fait la fière pour pas qu'on la lave, alors qu'elle ne peut plus se
traîner sans ses béquilles, la chamelle ! Je dis pas "vivement qu'elle crève", ça
se dit pas ces choses-là. Mais y'a pas loin pour que je le pense, j'avoue. Cela
dit, ça m'empêche pas de lui dire bonjour à la Germaine.
Je demeure poli, même avec elle. Elle a plus sa tête. Faut dire qu'elle
est plus très jeune, c'te pourriture. Elle a quatre-vingt-dix-huit berges.
Et je sais pas combien de temps elle va continuer à nous emmerder !
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