mercredi 11 septembre 2024

100 - Les songes d'un gueux

Je suis l'amant solitaire, l'oiseau errant, le rat méprisé, le pauvre hère de l'amour. Je n'ai pas de maison, pas d'or, pas de feu, pas de chance, pas de joie. Les bois, les champs, les rivières et les saisons sont mes asiles. Et le ciel nocturne est ma seule couverture. Tiède en été, glaciale en hiver. Avec les constellations pour unique oreiller. Lorsque je dors je suis heureux. J'accède à un autre univers : les songes.

C'est en ces lieux oniriques que chaque soir je deviens prince, oubliant mes oripeaux de vagabond : dans mes rêves un être, toujours le même, vient me rendre visite. Lors de mon sommeil, une créature inconnue me tient compagnie.

Fine, aérienne, gracieuse. 

Est-ce donc un elfe, une fée, quelque nymphe ou sylphide ? Un monstre des airs ou un ange des marécages ? Bête issue de l'ombre ou âme ailée surgie de la broussaille ? Libellule ou araignée d'eau ? Mystère ! Mais auprès de cette dame subtile je deviens un héros, un chevalier vêtu d'or et de lumière partant à la conquête des étoiles, de toutes ces chandelles que compte mon royaume de poussière et de silence. Mes histoires imaginaires sont épiques, grandioses, inoubliables.

Et le lendemain je poursuis mes aventures interrompues la veille. Au coucher, mon voyage reprend son cours exactement là où il s'était achevé le matin. Parfois il m'arrive de m'endormir au grand jour dans les herbes folles, et je rejoins aussitôt ma fiancée énigmatique. Je sais qu'elle m'attend, fidèle au rendez-vous.

Pendant longtemps j'ignorais qui était cette intruse de mes évasions intérieures, l'hôte de mes mirages intimes, la présence impalpable de mes escapades de dormeur. Maintenant je sais. Je connais le nom de cette étrange sorcière qui vient me rendre visite dans mon théâtre mental pour le mieux troubler de sa flamme. Je reconnais cette reine de l'illusion qui m'a emmené si loin, si haut...

J'ai enfin identifié cette amie qui est le baume à mes misères.

Ca n'est pas une femme comme je le pensais, non. Mais un galant, un joli, un doux messager de la nuit.

On le nomme Morphée.

99 - Le mauvais augure

Mon ami le corbeau a une sale tête.

Ténébreux, laid et beau, il hante les terres basses en prince piteux qu'il est. Frère de la brume, il chante son hymne à la boue tandis que son bec canaille se plante dans le sillon. Voleur, menteur, mal vêtu, c'est un bohémien des airs. Son aile lugubre plaît au vagabond, et moi j'aime sa silhouette malhonnête au fond des champs.

Il frappe à ma fenêtre, l'oeil méchant. Je lui tends mon pain. Il vient me manger dans la main, ingrat, en me remerciant d'une écorchure. Héros mélancolique au profil anguleux, le sombre oiseau peuple mes songes les plus blancs. Sa plainte ressemble à s'y méprendre au violon de la gargouille qu'il frôle en haut des cathédrales. Hôte des sommets -châteaux, clochers, tours d'ivoire- il côtoie aristocrates, bedeaux, sorcières, vieux hiboux.

Sa chair coriace fait de lui un éternel épargné, tandis que la tendre, la blanche palombe attire à elle seule les plombs de tous calibres, et fait même exhiber l'or des plus fins gourmets. Lui, n'encourt que moqueries, dédain, indifférence. Vous le verrez très honoré de ces froideurs. Mondain des bois, il raille, maudit, persifle... Cynique, hautain et inquiétant dans sa cape.

J'aime mon frère le corvidé.

Comme moi, son souffle est rauque, il a de l'envergure et sa plume est trempée dans l'encre noire.

98 - L'abbé Perrin

Il était une fois un curé de campagne bossu et pervers qui engrossait régulièrement ses ouailles. L'abbé Perrin était une "nature", comme on dit. Son caractère était bien trempé, bien que son corps fût contrefait. Il aimait la bonne chère. Et surtout les femmes, à peu près toutes les femelles. Mais aussi le pinard, du plus aigre au plus choisi. Et encore les jeux de hasard, du plus minable au plus dispendieux. Et même disait la rumeur, les bordels les plus mal famés... Bref, le père Perrin était un vrai débauché, un digne disciple de Casanova.

Souvent il revenait de ses excursions douteuses tard le soir, parfaitement ivre. Sa jeune bonniche en payait généralement les frais, elle qui était belle et vertueuse comme une Vierge Sainte. Il la troussait sur-le-champ pour la saillir sur le pas de la porte du presbytère sans autre forme de procès. Il était fréquent que des passants vissent les ébats éhontés du prêtre qui ne se cachait d'ailleurs nullement. Il semblait même être particulièrement fier de ses publiques et acrobatiques prouesses... Le dévot était un authentique paillard, on devait au moins lui reconnaître cette qualité.

L'impie au dos courbé rendait toujours visite à ses plus flatteuses protégées après la célébration du dimanche. Sans doute les vertus toniques du vin de messe que l'officiant absorbait avec une piété toute chrétienne... C'est que l'éclésiastique pratiquait avec un rare scrupule la charité sur sa propre personne. Il avait au moins le sens de lui-même, à défaut d'avoir le soin de l'autre. Les plus laides de ses ouailles quant à elles se faisaient culbuter directement à confesse. Le religieux était esthète : il se réservait les plus jolis morceaux pour les grandes occasions. Pâques, Noël, noces, enterrements...

Aux funérailles il consolait les adorables éplorées. Aux mariages il exerçait son droit de cuissage sur les épousées, les déflorant au passage s'il avait omis de le faire au temps de leur communion, soit pour raison de décence à cause de leur puérilité, soit pour raison de goût, préférant les charnelles aux fluettes. Le ministre du culte avait une solide morale. Aux jours des fêtes, il besognait volontiers les Marquises, les Comtesses et quelques châtelaines. C'est qu'il avait du goût, le confesseur de ces dames !

A sa mort on sonna le glas dans toute la contrée : il avait tant essaimé, tant forcé de passages secrets que nulle pécheresse ne pouvait ne pas revendiquer avoir reçu au moins une fois l'hommage de son fécond bâton de pèlerin, pour certaines dans le temple interdit, pour d'autres dans le vase naturel selon qu'elles furent délicieuses ou repoussantes.

On peut dire qu'il avait vraiment la bosse dure, le calotin.

97 - Un dimanche plat atomique

Il faisait chaud en ce dimanche mortel.
 
L'été plein de léthargie rendait l'ambiance triste, le village somnolait au coeur de ce siècle de plomb. Les heures s'éternisaient, lourdes, poisseuses, sans espoir.
 
La vie dans cette campagne sclérosée se résumait à une morne stagnation des choses et des êtres, à une lente marche des jours vers des sommets de monotonie, à un interminable endormissement des vivants vers un monde peuplé de fantômes.
 
Rien ne se passait dans cette capitale rurale du néant.
 
Les jeunes rivés sur leurs écrans portables ressemblaient à des vieux déjà séniles et les vieux à des morts. Les femmes préféraient la vacuité de leurs travaux ménagers à la virilité flasque de leurs maris et les hommes leur pinard dominical aux charmes adipeux de leurs épouses...
 
Il aurait fallu une bombe retentissante ou bien une tempête de glace pétrifiante, ou même une divine explosion d'amour en plein ciel pour réveiller ce cimetière d'âmes noyées dans un océan d'ennui !
 
Mais j'avais mieux que cela, moi qui depuis mes hauteurs supérieures observais ces cadavres s'enlisant dans la chaleur et l'inertie de cette journée infiniment vide...
 
Pour faire se redresser les têtes, enflammer les chairs, illuminer les obscurités intérieures, l'on pouvait compter sur le feu de ma plume, l'éclat de mes mots, l'or de mon verbe.
 
Je décidai donc de leur jouer ma musique. De portes en portes j'allai déverser ma bonne parole au plus près de leurs oreilles, en leur criant :

— Sortez tous de votre torpeur car je suis l'ange des dormeurs venu vous faire peur, qui fait sonner les dernières cloches de la Terre !

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96 - La campagne

La campagne s'appesantit sous le ciel d'été.
 
Dans le lointain, un toit de chaume dissipe une fumée ténue dans l'air. La chaleur et le silence confèrent une atmosphère solennelle au paysage, comme s'il était figé dans une sempiternelle torpeur dominicale.
 
Les grands arbres, que nul vent n'agite, ressemblent à des cathédrales. Et les carrés de verdure font penser à des gazons de cimetières sous lesquels gisent d'augustes défunts. Enfin, l'horizon indistinct où la sylve se mêle à l'azur, rappelle les brumes entrevues dans de vieilles toiles recouvertes de poussière.
 
Dans ce magistral tableau champêtre où je me trouve, pétrifié et pourtant bien vivant, tout semble irréel, comme issu d'un rêve.
 
On dirait que ce monde n'est qu'une image, un simple décor, un théâtre vide où rien ne se passe.
 
Et en effet, aucun signe de vie, pas une onde de joie ni le moindre éclat de bonheur n'est perceptible depuis là où je suis.
 
J'ai l'impression d'être entouré de tristesse, de baigner dans une lumière de mort, d'observer une peinture pastorale sinistre, pareille à un jour de funérailles.

Et, déçu par cette terre promise où l'herbe est censée être plus claire et plus tendre qu'ailleurs, je m'en retourne bien vite dans l'ombre gaie, les nuits furieuses et le béton prometteur de ma cité heureuse !

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95 - Le père Dédé

Le père Dédé était un sacré paillard de quatre-vingt-douze balais au sang chaud, au verbe haut, au coup de rein vaillant.
 
Aussi vert qu'un gaillard de vingt-cinq piges, monté comme un âne, il passait ses journées de retraité libidineux insatiable à prouver aux demoiselles encore vierges qu'il avait dans le slibard de quoi satisfaire leurs désirs les moins avouables.
 
Par ailleurs, il ne cessait de sortir son énorme braquemart de vieux salaud sous le nez des passantes éberluées.
 
Un jour au mariage de sa voisine, il planta même son pieu bien dressé dans le gâteau moelleux des époux. Certains convives en rirent. Les autres en furent durablement choqués...
 
Il n'hésitait pas non plus, au grand dam du curé, à tremper son dard turgescent dans le bénitier le dimanche à la messe, sous prétexte, prétendait-il, de refroidir ses ardeurs avant de venir sagement s'asseoir à côté de ces dames.
 
Aux enterrements, il poussait le vice jusqu'à aller foutre sa main aux fesses des épouses éplorées, assurant à tous que c'était par chrétienne charité de sa part qu'il se proposait, à travers ce geste explicite, de remplacer le phallus des défunts par le sien dans le cul des veuves, attendu que sa pine quasi-centenaire avait des dimensions vraiment hors-norme... Il supposait par conséquent pouvoir avantageusement consoler ces subites célibataires le soir-même des funérailles à grands coups de verge bien dure au fond de leurs orifices dévoués et reconnaissants.
 
Evidemment, vu son âge vénérable et sa propension à ouvrir sa grande gueule pour cracher volontiers des petites vérités cinglantes aux uns et aux autres, nul n'osait faire usage ni de la force ni du verbe moralisateur à son égard... Aussi en profitait-il pour continuer à faire surgir inopinément l'affreux Jojo de sa braguette.
 
Du matin au soir le père Dédé s'amusait à extraire l'oiseau de sa cage partout où il y avait de la fumelle à son goût : à l'épicerie, au cabaret, au cimetière, au confessionnal, au champ de courses, au carnaval, aux cérémonies républicaines ou aux fêtes religieuses, au sortir des urnes ou devant le monument aux morts.
 
A tout bout de champ le père Dédé ne songeait qu'à présenter ses hommages les plus élégants aux adeptes de la saucisse fumée de Francfort.
 
Si bien qu'à force de prendre ces bonnes habitudes, il finit par engrosser la fille cachée du prêtre de son village, la veille de sa mort à quatre-vingt-dix-huit ans.

C'est qu'il avait une foutue santé, le père Dédé !

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94 - Délicatesses du langage

Echanges entre Alphonse Torchecul le bûcheron et sa patronne, Madame la Baronne du Lys.

- M'dame la Baronne, j'avons quelque chose à vous montrer.

- Mon brave bûcheron Torchecul, approchez. Qu'avez-vous donc à me montrer de si impérieux pour interrompre ainsi votre besogne en plein élan ?

- Ben voilà M'dame la Baronne, j'avons c'te sorte d'énorme bûche bien dure qu'est apparue dans mon pantalon depuis qué'qu'temps, même qu'elle arrête pas de m'démanger vu qu'elle est comme ça à cause que votre colossale culasse de vieille pouffiasse lui remue juste sous l'nez ! Comme qui dirait que vot' paire de miches lui ferait les yeux doux, à c't'enflure de carotte à foutre qui m'asticote au fond du caleçon...

- Torchecul mon fidèle homme à tout faire, voulez-vous dire en d'autres termes que cet infâme et odoriférant objet que vous tenez en pogne aurait pour suprême objet d'émoi mon chaste séant ?

- En qué'qu'sorte M'dame la Baronne, en qué'qu'sorte... Mais enfin je dirions plutôt que je bandifie et pue comme un bouc en voyant votre large panier à boudins qui se dandine comme une putain de vache ! Votre trou à saucisses, ou rondelle à jus de roustons si vous préférez, ben j'aimerions bien me le farcir, le défoncer, le tripailler, le pourfendre à grands coups d'andouille, M'dame la Baronne. Vous savez, celle qui me pend entre les cuisses et qui en ce moment vous désigne de son doigt turgescent...

- Ha bon ! Ca me rassure. Voyez-vous je n'avais pas bien saisi votre propos jeune ami. Vous voulez dire que, pris par une faim subite au coeur de votre labeur, vous désirez quelques rondelles d'andouillette de Vire en guise de collation, entre deux cassages de bois ? Et ce que vous tenez à la main n'est pas autre chose, bien entendu, qu'un billot que vous venez de fendre... Suis-je insane tout de même ! Figurez-vous que je m'imaginais avoir entendu un discours moins sobre mon brave Torchecul et je...

- Tagueule la Baronne de mes deux, tu comprends donc point que j'avons envie de te déglinguer le potiron, pétasse-à-couilles-de merde ! M'enfiler ta citrouille ! C'est ça que j'veux ! Je veux me taper ton popotin de Baronne ! Viens donc là que je te foute ma foutue pioche veineuse bien dure au fond de ton gros cul, espèce de Baronne-à-bites-de-mes-deux !

- Ha ! Mais je comprends bien cette fois ! Torchecul, vous n'y pensez pas ? Et que dirais Monsieur le Baron ?

- Monsieur le Baron votre époux, il est en ce moment en train de foutre sa longue et noble pine parfumée entre les fesses de la bonniche du curé, vous savez celle qui se laisse régulièrement mettre par Monsieur l'Evêque quand il rend visite à c'pédé d'curé de mes deux...

- Ho ! Ca oui alors, il faut dire que Monseigneur rend souvent visite à notre cher abbé depuis que ce dernier a changé de servante. Cependant mon bon Torchecul, pour en revenir à nos moutons, vous préférez que je vous la serve en petites tranches ou nature, votre chipolata ?

93 - La maison de l'écrivain

Je m'approchai de l'humble demeure. Isolée, sise entre ciel et champs, battue par les vents, couverte de lierre, elle ressemblait à un navire au milieu des herbes. Éole faisait grincer ses vieux bois... Sa toiture de tuiles qui s'affaissait pesait comme un manteau de pierres, brisé.

Une âme hantait les lieux : cette maison abandonnée respirait, dégageait une atmosphère pleine de nostalgie. Je sentais un souffle, j'entendais battre un coeur : l'architecture rompue par les intempéries demeurait vivante cependant. A travers ses fissures, je remontais dans le temps. La pierre me racontait tant d'histoires... Ce toit dans la campagne avait été l'asile d'un lettré, jadis.

Poussant la porte prise dans les herbes folles, j'entrai sans trop de difficulté. La pièce unique sans fenêtre et aux murs nus s'éclaira dans une odeur de vieille charpente et de ronces. Son aspect était fruste, rustique, presque monacal. Je découvris une table, une chaise, un lit et un petit meuble de chevet. Sur la table, une chandelle, quelques feuilles vierges jaunies, une plume dans son encrier séché. Sur le meuble de chevet, une carafe en terre. Reliques d'une autre époque...

Charmé par ce tableau idyllique, humant avec délices les effluves intacts de la chambrette, les yeux fermés je laissai courir un instant mon imagination.

Devant moi les spectres du passé apparurent. Je vis un écrivain penché sur ses feuillets, l'inspiration en suspens, une flamme dans l'oeil. C'était tard le soir, la bougie éclairait son minuscule bureau de travail. Il était vêtu à l'ancienne, avec une mise apprêtée. Ses cheveux en arrière étaient coiffés avec soin. Il arborait une coupe du XIXème siècle. Il y avait, accrochés à un clou de la porte, un chapeau avec un long plumet fiché en son côté, ainsi qu'une besace. Cette personne écrivant dans l'ombre, je crus la reconnaître. N'était-ce pas... Alphonse Daudet ? A moins que ce ne fût Maupassant ? Ou alors Musset ? A travers l'apparition onirique, je voyais indistinctement des visages, des silhouettes illustres surgis du siècle romantique.

Je m'attardai dans mon rêve éveillé... Et cette fois c'est moi qui était le fantôme : je me sentais comme un intrus invisible en train d'épier les hôtes des lieux. Les yeux clos, humant toujours la poussière séculaire de la pièce, je laissai mon esprit vagabonder encore.

Au coeur de la nuit se faisait entendre le cri d'un hibou. Un chat perché sur une poutre observait la mystérieuse présence. Dans l'âtre, une braise finissait de se consumer. La vision devenait de plus en plus nette. Je vivais ce qu'avait vécu l'homme de lettres. J'étais devenu témoin de la légende, approchant d'un souffle le mythe, présent dans la vie secrète de quelque auteur...

En pénétrant dans ce refuge à l'abandon, l'imagination m'avait emmené jusque dans l'intimité d'un poète, à cent cinquante années de distance, à deux pas des muses.