mardi 10 septembre 2024

64 - Vue d'esthète

Par un dimanche triste, pluvieux, j'entrai dans l'église d'un village perdu du fin fond de la campagne mayennaise afin d’assister à la messe. Dans l'édifice, plein de bonnes gens du pays : casquettes rondes et tailleurs démodés de rigueur. Ca sentait la cire, la vieille province et le désuet.

J’observais avec soin cette société de dévots endimanchés. Chose étonnante, parmi cette assistance grisonnante il y avait quelques donzelles à la mise moderne, colorée. Elles n’avaient pas vingt ans. Certaines étaient disgracieuses, d’autres charmantes. Je scrutais discrètement ces communiantes en fleur. D’abord les rosières sans attrait, puis les jolies oies blanches. Sur ces dernières je m’attardais charitablement.

Contraste saisissant entre ces dos courbés, ces nuques ridées, ces faces rougeaudes d’hommes et de femmes issus des terres archaïques, et ces créatures juvéniles aux mines délicates, aux galbes olympiens, aux gorges parisiennes ! Je me perdais dans la contemplation de ces chairs esthétiques, de ces figures aériennes, de ces toilettes recherchées...

Les ouailles entonnèrent un air, guidées par un orgue solennel. L’instrument en question, mi-orgue, mi-harmonium pour être honnête, semblait sorti d’un XIXème siècle des plus rustiques. Les premières notes s’élevèrent... Je redoutai le pire.

La mélodie n’était point grossière.

Surpris, je l’écoutai avec une sincère émotion. L’on aurait pu s’attendre à quelque pesante, grasse, champêtre interprétation... La chorale s'avérait d’une étonnante qualité. Et le choix de l'oeuvre d'un goût sûr.

Tout à l'écoute du cantique, je ne quittais pas des yeux les avenantes pucelles, alors que montait le choeur. En esthète averti j’associais les émois, combinais les ravissements, mêlais les ivresses : j’étais enchanté par la vue de ces demoiselles parées de la Grâce, et dans le même temps transporté par l'hymne. Mon regard obliquait parfois vers la voûte aux peintures naïves, puis revenait vers ces vestales rurales propres à inspirer d’authentiques vocations parnassiennes.

Cette fois la prière qui résonnait sous la voûte à la fresque écaillée se révélait de toute beauté.

Totalement inattendu d’entendre ça dans ce clocher du fin fond de la Mayenne ! Déconcertant de s'apercevoir qu'un tel joyau pût émaner de ces poitrines agrestes, insolite de découvrir tant d'éclat chez ces éleveurs de bétail. Etonnant mais indéniable : le chant était splendide. Moment divin dans une semaine d’étables, de bistrots miteux et de cours de fermes aux odeurs de fumier.

Pris sous le pieux sortilège des choristes, j'accédais à une autre dimension du monde, biblique. Tout était magnifié à travers le prisme de ma perception. Ma vision devenait insensiblement, progressivement celle d’Adam et Eve d’avant le péché, cet esprit vierge de préjugé, innocent, libre, ignorant des mondanités, du mal comme de la laideur...

Sous l’effet accru de l’Art, je voyais le Ciel partout où mon attention se portait. Et mon oeil avait fini par se poser indistinctement sur les élues de Vénus comme sur leurs soeurs franchement ingrates.

Cependant, conquis par tant de causes diverses mais encore conditionné par d’académiques oeillères culturelles, je préférais me concentrer sur les physionomies les plus flatteuses. Je contemplai ainsi quelque fraiche et ingénue enfant d’Aphrodite, irrésistiblement emporté par l’aile d’Euterpe ou de je ne sais quel messager céleste missionné pour sauver mon âme impie.

La louange redoubla d’ardeur.

Et à ce moment précis les têtes bovines s'affinèrent, des traits linéaux apparurent sur les visages : et je voyais des poètes à la place des paysans... Et je voyais des anges à la place des jeunes filles, qu'elles fussent belles ou laides...

J'ai craint que le charme ne se rompe aussitôt la partition finie, aussi ai-je quitté les lieux bien avant la fin de l'office.

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