mardi 10 septembre 2024

25 - Pluie d'avril

Le printemps était pluvieux et mon coeur écrasait chaque flaque rencontrée sur le trottoir. Aucun visage avec qui partager mon trouble sur ce chemin qui me menait nulle part. Le pas lourd, les pensées sombres, j'avançais sans but, traversant la ville comme un oiseau triste.
 
Ou comme un rat effaré.
 
J'errais ainsi, déjà vieux sous mon chapeau, déjà oublié sous mon manteau, déjà mort sous ma peau. Devenu invisible sur le pavé, j'apparaissais telle une ombre sous l'onde d'avril. Qui me savait en vie ou bien à l'agonie, en joie ou en deuil, homme ou fantôme ?
 
Guère plus remarqué que les lampadaires, j'avais conscience de l'indifférence qu'inspirait ma silhouette insignifiante. Même les lampes de la rue brillaient le soir, tandis que moi je demeurais  obscur en permanence. Ce siècle d'artifices ne me donnait pas d'autre droit que celui de ressembler aux choses qu'on ne voit plus, aux formes inanimées, aux meubles ternes, aux êtres sans nom.
 
En tant qu'homme simple ne désirant que l'essentiel, je n'avais jamais trouvé ma place dans ce monde. L'Humanité m'avait abandonné dans la périphérie de la civilisation sous prétexte que je n'étais pas branché sur ses écrans.
 
Et en ce jour mortel, la grisaille me submergeait.
 
Elle m'inhumait dans ses gouffres de mélancolie, tandis que derrière les fenêtres, tout autour de moi, des lumières éclairaient des âmes. Je devinais ces ampoules électriques et ces lucarnes d'ordinateurs s'allumant sur des front légers, éclairant des instants d'allégresse, accompagnant des rires et animant encore bien d'autres heures heureuses...
 
Je ressentais ces lointaines chaleurs comme autant de gifles.
 
Et je ne savais plus si ma face faisait ruisseler une eau glacée ou des larmes brûlantes.
 
Et je marchais, la tête vide, la semelle appesantie.
 
Bientôt j'aperçus la fin de ma route : une impasse.
 
Au fond, une immense affiche publicitaire vantant les mérites d'un site de rencontres en ligne, avec un slogan criard écrit en lettres de braise et de fureur : "NE SOYEZ PLUS SEULS, RECONNECTEZ-VOUS  AU BONHEUR !"
 
Face à tant d'ironie, de cynisme, de vulgarité, devais-je m'esclaffer ou me désoler de cette société ?

Je pris le parti d'aimer l'intempérie si naturelle, d'aimer ma solitude si saine, d'aimer mon sort d'anonyme déconnecté si enviable. Et je m'en retournai, apaisé, à mes vieux livres et à mon cher feu de cheminée.

VOIR LA VIDEO :

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire