mardi 10 septembre 2024

27 - Mystère d'une nuit

Par un soir d’automne au ciel tourmenté, je voulus traverser seul une forêt. Entrer dans cette nuit peuplée de troncs effrayants qui me scrutent et de contours mouvants qui bruissent, comme je pénétrerais dans un monde de spectres.
 
Bref, me confronter aux forces brutes de la saison, me perdre dans des chemins bordés de rêves inquiétants, m’abreuver de ténèbres, m’enivrer de frayeurs primitives et laisser mon esprit vagabonder dans un champ de questions sans issue...
 
Après quelques kilomètres de marche dans la plaine pour atteindre la sylve, à minuit je me trouvai à l’orée de ce mystère végétal tant espéré et tant redouté. Sans éclairage sur moi, j’étais encore plus désarmé, plus terrifié que je ne l’aurais cru.
 
Face aux ombres immenses m’ouvrant leurs bras, j’eus une hésitation suivie d’un tressaillement et faillis faire demi-tour.
 
Mais, tenaillé par la soif de l’ailleurs, attiré par l’invisible, je me résolus à aller boire à cette source d’effroi. Goûter à l’eau sombre et délectable de l’inconnu... Accomplir ce voyage incertain dans l’obscurité, parcourir cette étendue boisée comme une incursion dans un univers étrange.
 
Je m’avançai vers le gouffre.
 
Une fois sous les frondaisons, le vent s’atténua considérablement et je fus aussitôt enveloppé d’une ouate de silence.
 
Sous ma semelle, de la mousse. Devant moi, de sourdes profondeurs. Et partout, ces arbres que je devinais dans le noir, telles des statues de bois géantes qui m’escortaient... Avec le murmure éloigné d’Éole comme une musique se voulant rassurante...
 
Mais en vérité, dans cette soudaine tranquillité, le vacarme sous mes pieds et au-dessus de ma tête, décuplé par la sonorité feutrée du tapis d’humus, n’en paraissait que plus pétrifiant.
 
La moindre brindille brisée, la plus petite branche écrasée, le plus discret déploiement d’ailes ou frémissement de ramure résonnaient comme un tonnerre au coeur du vide.
 
Plus je progressais au sein de cette nature qui à vrai dire n’est pas faite pour les hommes mais pour les bêtes, les fantômes et les cauchemars, plus je regrettais mon audace. Non, le bipède n’est point à sa place parmi les morts et je ne sais quels lutins maléfiques, dans ce labyrinthe de futaies, livré aux regards des êtres occultes, des présences indéterminées, des passagers furtifs, des hôtes dissimulés...
 
Bientôt je fus entouré de silhouettes, enlacé par des feuilles, assiégé par des visages imaginaires, assailli par des pensées affolantes, happé par des formes confuses, traqué par des choses ou entités que je ne voyais pas...
 
Je ne pus terminer cette aventure inoffensive qui devait tout banalement me mener jusqu’à l’aube vers une sortie balisée, proche de la route, à deux pas de la civilisation.
 
Je m’égarai dans ce lieu extraordinaire, enlisé dans mes peurs, perdu entre songe et réalité, évidence et incertitude, ne sachant plus faire la différence entre les vagues échos entendus et les mots soufflés à mon âme.
 
Au matin, nul ne me chercha.
 
Si bien que, des années après avoir vécu cette histoire à dormir debout, je me demande aujourd’hui encore si je suis vraiment sorti de chez moi ce jour-là.

Ou si, sous les bourrasques de cette soirée d’octobre, je suis finalement resté dans mon lit.

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