mardi 10 septembre 2024

83 - La maison abandonnée

Il y eut un grincement typique lorsque je poussai le portail rouillé de la vieille demeure abandonnée. Ensevelie sous les friches et les ans, la maison était une caricature. Grotesque et un peu effrayante. Les herbes folles semblaient les seuls hôtes encore vivants de ces lieux.

Comme une photo jaunie, la façade décrépite et le toit parsemé de mousse transpiraient une atmosphère surannée, intime et familière. J’avais la troublante impression qu’ils restituaient les conversations, les émotions captées des années auparavant, à l'époque où tout vivait dans le logis. Les pierres ancestrales perçaient le silence et se faisaient subtilement éloquentes : je revoyais sans peine ce que furent les jours des derniers habitants.

Des générations s’étaient succédé ici, les murs me le disaient avec insistance : ils respiraient cette douce nostalgie propre à ces domiciles ayant abrité des destins sans heurts et où se sont figés dans bien des mémoires de longs dimanches d’enfance.

A travers ces vestiges mêlés de lierre, la clôture d’un siècle révolu, les marches usées, les existences qui s’étaient écoulées ici se rappelaient naturellement au visiteur... Leur histoire enfouie sous les ronces soulevait discrètement le couvercle du temps, laissant apparaître des bribes de passé : objets d’antan traînant par terre, effluves de cave et de plâtre ancien, sentiment de déjà vu. Ce charmant cimetière était hanté par la mélancolie.

Je revivais imperceptiblement les humbles événements quotidiens de ces vies de famille. A des années de distance je croyais entendre l’écho des rires d’enfants, des couverts de la table dressée sous le grand arbre, des murmures échangés les longues soirées d’été…

D’un coin de la cour émanaient des relents d’ordures oubliées par d'indésirables oiseaux de passage : squatters, vagabonds ou poètes douteux. C’était à la fois sordide et anecdotique, insignifiant et pittoresque.

Ce foyer avait eu une âme, jadis. A présent cette flamme était muette, éteinte. Morte.

Je quittai cette propriété pleine de désolation en prenant soin de refermer derrière moi la barrière en fer forgé que je venais de faire gémir pour l'ultime fois peut-être.

Et sans me retourner, je me hâtai.

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