mardi 10 septembre 2024

59 - Confort de chien plutôt que bonheur de veau

Ma demeure, une grosse cabane informelle perdue au coeur de la forêt -avec une cheminée pour tout chauffage- n'a pas d’eau courante, nulle électricité et encore moins de décoration.
 
Je ne consomme aucune viande, bois de l’eau claire, ne vais jamais au cinéma, ignore la télévision, suis totalement déconnecté des agitations du monde. Non par contrainte, exclusion ou pauvreté matérielle, mais par choix.
 
Je vis comme un moine.
 
Ou pour être plus exact, pareil à un authentique bourgeois sous le règne du grand roi Louis XIV. Même les pharaons ne vivaient guère mieux que moi, d’ailleurs certains mourraient jeunes.
 
Je suis sobre disais-je.
 
Grâce à ce régime économique ma santé est excellente : je suis robuste, toujours en pleine forme, sain, rieur.
 
J’ai très peu d’argent. Enfin juste assez pour me nourrir et parer à mes besoins vitaux. Indifférent à la mode, isolé dans les bois je n’ai pas le souci de plaire à mes voisins, à un patron, à des clients, bref à une société superficielle. Les rares humains que je fréquente sont tous gens supérieurement intelligents qui se moquent de la qualité ou de la couleur des vêtements que je porte. Je suis propre sur moi mais libre de me vêtir sans aucune pression sociale. J’ai juste assez pour vivre, j’estime donc être riche. D’autant que je suis très satisfait de mon sort de ce point de vue.
 
En décembre pendant que mes frères humains gavés toute l’année de confort, de futilités et de surconsommation en tous genres se lamentent du froid, tremblent pour leurs canalisations ou crient au scandale parce que les axes routiers menant aux ”sports d’hiver” ne sont pas déneigés assez vite, de mon côté je me réjouis de la beauté du givre qui fait craquer mon abri et blanchit la sylve.
 
Et tandis que certains citoyens désenchantés de ce beau pays de France (que le gel rend encore plus ingrats envers la providence, sous divers prétextes dérisoires) portent plainte contre le maire de leur commune pour “négligence” parce qu’ils ont glissé avec douleur sur le verglas de la voie publique, je glisse moi aussi au fond d’un fossé dans une gerbe de flocons virevoltants. Et cela m’amuse.
 
Eux ont prévu cet “inconvénient” dans leur contrat d’assurance tous risques... Moi je n’ai rien prévu, je n'ai pas la moindre assurance et je ne me fais point mal. Mais il est vrai que lorsque viennent les gelées je ne pars pas en “vacances d’hiver” faire du ski à cinq-cent kilomètres de mes arbres enneigée... Par conséquent je réduis considérablement les risques de me faire... décerveler.
 
Aux températures plus clémentes, en avril ou mai, mes semblables calfeutrés dans leurs maisons chauffées entourées de moquette craignent encore les pollens. Ils remplacent leurs anticorps perdus en ingurgitant de la “parapharmacie.” Moi je respire les odeurs de la saison, me fait piquer par des abeilles, me lave à l’eau de pluie, insensible aux effets “nuisibles” des éléments que redoutent tant les citadins, et cela fortifie ma santé au lieu de l’affaiblir.
 
Avec mon existence frugale, mes moeurs viriles, mon mode de vie rustique, mes moyens de subsistance modestes je passe pour un miséreux dans ma maison de rondins.
 
Dans cet environnement de mollesse, de frilosité, de geignards, de convoitises superflues, les gens vraiment heureux sont ceux qui possèdent le moins de choses matérielles et vivent dans l’âpre confort naturel.
 
Les autres s’ennuient au point d‘aller courir après la neige, loin de chez eux. Alors qu'elle se trouve pourtant à leurs pieds. Et, l'été, ils se dépêchent de rejoindre le sud afin d'y poursuivre désespérément les rayons du soleil... Le plus drôle, le plus absurde, c’est qu’ils se plaignent de la poudreuse en janvier et de la chaleur en juillet lorsqu'elles tombent sur leurs toits et en même temps ils vont les chercher à grands frais et avec avidité à des centaines de lieues de chez eux...
 
Depuis mon humble asile de branches sans eau courante ni électricité, ni téléphone, ni radiateur, ni moquette, ni écran, j’ai l’hiver en hiver, le printemps au printemps, l’été en été, l’automne en automne.

Mais surtout j’ai, en surplus gratuitement toute l’année : le plus simple de tous les bonheurs.

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