Il pleut sur la ferme sarthoise. Les toits soupirent, les gouttières chantent leur ennui, dans la fange ruisselle une onde triste : le mois de mars prend parfois des allures sinistres dans les campagnes. La jeune pucelle regarde tomber les flots maussades à travers les carreaux. Elle se sait disgracieuse, sans avenir, vouée à la solitude.
De la buée formée par les exhalaisons d'un pot-au-feu qui mijote voile les vitres de la lucarne donnant sur la misère : une basse-cour morne couverte de flaques. D'un geste las, la célibataire aux traits ingrats passe la main sur le carré de verre embué. Pour mieux voir l'enfer sous l'averse, peut-être.
Assis près de la cuisinière, ses vieux parents patientent en silence. Ils fixent le vide, la tête pleine des minutes qui passent. Le ragoût semble être l'unique cause apte à combler ces âmes pareilles à des souches. Le tic-tac de l'horloge séculaire tue à petit feu le temps qui s'étire, s'étire... L'esseulée observe toujours la cour inondée, pensive. Figée devant la fenêtre, elle n'entend plus le sempiternel tic-tac du cercueil derrière elle. Et cette fricassée haïe, exécrée, abhorrée qui suinte la torpeur, la province, les habitudes... Cette satanée marmitée dominicale, trésor des hospices qui réjouit la vieillesse et afflige les anges...
Prend-elle pleinement conscience à cet instant précis de son sort malheureux ? Après un long soupir, comme possédée par une folie libératrice, elle hurle de toutes ses forces face à la vue honnie !
Puis sort devant les vieillards hébétés, file devant les étables, quitte la propriété, court encore à travers champs, longtemps, fouaillée par les éléments, déchirée par les ronces, enfin s'arrête, essoufflée, le front levé vers l'infini, le visage luisant de pluie et de pleurs mêlés, et dans des sanglots profonds, déchirants, s'adressant aux cumulus :
— Emportez-moi, amis d'en haut ! Emmenez-moi dans vos sommets tourmentés et magnifiques ! Laissez-moi vous chevaucher, prenons ensemble la direction de l'éternité, chers voyageurs célestes ! Faites-moi oublier mes sabots, vous qui avez des ailes. Faites légère ma vie. Ne voyez-vous pas que je traîne de la boue à mes semelles ? Peuplez mes nuits de rêves splendides, car en plein jour je ne songe plus au bonheur... Accordez-moi une seconde chance vers les astres, puisque je m'enlise en cette terre où tout meurt autour de moi. Je suis laide, je suis seule, je suis damnée, aimez-moi au moins un peu, vous les nuages ! Aimez-moi, vous qui, sublimes, passez si loin au-dessus de la ferme où pour ma peine j'ai vu le jour ! Aimez-moi une fois, au lieu de me punir encore de vos larmes moqueuses !
La fièvre retombée, l'hystérie passée, son chagrin déversé dans le ciel sourd, ses espoirs semés au vent inutile, sa prière envolée vers les nuées impassibles, l'éplorée tristement s'en retourne vers son foyer de grisaille, trempée, grelottante, résignée, le pas plus pesant que jamais.
Là-bas deux faces ridées l'attendent. Certes secoués mais ne se départant pas de leur solide sens des réalités : au retour de leur fille, ils la réconforteront avec les moyens à leur portée.
Si elle rentre sans trop s'attarder, laissant ses chimères à la bourbe, le pot-au-feu sera encore chaud.
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