mardi 10 septembre 2024

78 - Les fagots

La centenaire ployait sous le poids de sa récolte, de souches en broussailles et de fourrés en bosquets. 

Mais elle était robuste, dure à la tâche, âpre au gain. Sous la Lune je distinguais sa silhouette brisée, d'apparence si frêle. Avec son fardeau de bois sec sur le dos, ses doigts crochus, son corps osseux, elle me faisait songer à un arbre mort.

Une chouette séculaire en réalité.

Je lui adressais parfois le bonsoir en la croisant à l'orée de la forêt. Promptement elle m'envoyait au Diable en me menaçant avec son bâton, l'oeil méchant, un silex dans la voix : l'ancêtre avait un caractère de chat sauvage. Depuis le temps que je la connaissais, j'avais toujours été séduit par cette sorcière qui vivait à l'écart du village. Solitaire et rebelle, intrépide et coriace, cette vagabonde nocturne était un mystère.

Je la regardais souvent ramasser des branchages, humble trésor de son foyer, et m'attardais ainsi jusque tard dans le soir sur ce fantôme anguleux, sur cette ombre aux allures de fable. Tantôt je la comparais à un épouvantail en route vers les paysages morts et silencieux de l'astre lunaire, tantôt je me la figurais hôte des clochers, chevaucheuse des vents ou spectre des cimetières. Je voyais en cette glaneuse de la sylve un être fabuleux.

Elle rentrait dans sa chaumière sans confort, rapportant ses pauvres fagots. Peu après sa fenêtre s'éclairait au coeur de la nuit.

Avec sa maigre fortune sur les épaules, son feu de misère, ses haillons d'un autre âge, la vieille me faisait rêver sous les étoiles.

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