mercredi 11 septembre 2024

93 - La maison de l'écrivain

Je m'approchai de l'humble demeure. Isolée, sise entre ciel et champs, battue par les vents, couverte de lierre, elle ressemblait à un navire au milieu des herbes. Éole faisait grincer ses vieux bois... Sa toiture de tuiles qui s'affaissait pesait comme un manteau de pierres, brisé.

Une âme hantait les lieux : cette maison abandonnée respirait, dégageait une atmosphère pleine de nostalgie. Je sentais un souffle, j'entendais battre un coeur : l'architecture rompue par les intempéries demeurait vivante cependant. A travers ses fissures, je remontais dans le temps. La pierre me racontait tant d'histoires... Ce toit dans la campagne avait été l'asile d'un lettré, jadis.

Poussant la porte prise dans les herbes folles, j'entrai sans trop de difficulté. La pièce unique sans fenêtre et aux murs nus s'éclaira dans une odeur de vieille charpente et de ronces. Son aspect était fruste, rustique, presque monacal. Je découvris une table, une chaise, un lit et un petit meuble de chevet. Sur la table, une chandelle, quelques feuilles vierges jaunies, une plume dans son encrier séché. Sur le meuble de chevet, une carafe en terre. Reliques d'une autre époque...

Charmé par ce tableau idyllique, humant avec délices les effluves intacts de la chambrette, les yeux fermés je laissai courir un instant mon imagination.

Devant moi les spectres du passé apparurent. Je vis un écrivain penché sur ses feuillets, l'inspiration en suspens, une flamme dans l'oeil. C'était tard le soir, la bougie éclairait son minuscule bureau de travail. Il était vêtu à l'ancienne, avec une mise apprêtée. Ses cheveux en arrière étaient coiffés avec soin. Il arborait une coupe du XIXème siècle. Il y avait, accrochés à un clou de la porte, un chapeau avec un long plumet fiché en son côté, ainsi qu'une besace. Cette personne écrivant dans l'ombre, je crus la reconnaître. N'était-ce pas... Alphonse Daudet ? A moins que ce ne fût Maupassant ? Ou alors Musset ? A travers l'apparition onirique, je voyais indistinctement des visages, des silhouettes illustres surgis du siècle romantique.

Je m'attardai dans mon rêve éveillé... Et cette fois c'est moi qui était le fantôme : je me sentais comme un intrus invisible en train d'épier les hôtes des lieux. Les yeux clos, humant toujours la poussière séculaire de la pièce, je laissai mon esprit vagabonder encore.

Au coeur de la nuit se faisait entendre le cri d'un hibou. Un chat perché sur une poutre observait la mystérieuse présence. Dans l'âtre, une braise finissait de se consumer. La vision devenait de plus en plus nette. Je vivais ce qu'avait vécu l'homme de lettres. J'étais devenu témoin de la légende, approchant d'un souffle le mythe, présent dans la vie secrète de quelque auteur...

En pénétrant dans ce refuge à l'abandon, l'imagination m'avait emmené jusque dans l'intimité d'un poète, à cent cinquante années de distance, à deux pas des muses.

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